L’enfant et l’état de flow
Article paru dans le magazine Grandir autrement – n°75
Maria Montessori avait longuement observé cette capacité qu’ont les enfants de se plonger totalement dans une activité, à partir du moment où celle-ci correspond à des besoins déterminés par la période sensible qu’ils sont en train de vivre. Autrement dit, l’enfant, lorsqu’il agit en accord avec ses « passions psychiques » du moment, se trouve dans un état caractérisé notamment par une concentration intense et une profonde satisfaction.
Elle avait également remarqué que les enfants, autonomes, laissés libres d’être à l’écoute de leurs propres attirances pour telle ou telle tâche, devenaient plus calmes, plus sereins, plus confiants, plus ancrés dans la réalité, et beaucoup moins sujets à la confusion et aux débordements émotionnels intenses.
Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec ce que le psychologue Mihalyi Csikszentmihalyi a nommé état de flow ou expérience optimale, c’est-à-dire « la joie, la créativité et le processus d’engagement total face à la vie ».
Voici de manière détaillée la définition retenue par l’Européan Flow Researches Network depuis 2014 :
« Il s’agit d’un état d’épanouissement lié à une profonde implication et au sentiment d’absorption que les personnes ressentent lorsqu’elles sont confrontées à des tâches dont les exigences sont élevées et qu’elles perçoivent que leurs compétences leur permettent de relever ces défis. Le flow est décrit comme une expérience optimale au cours de laquelle les personnes sont profondément motivées à persister dans leurs activités. De nombreux travaux scientifiques mettent en évidence que le flow a d’importantes répercussions sur l’évolution de soi, en contribuant à la fois au bien-être et au bon fonctionnement personnel dans la vie quotidienne »
Se trouver fréquemment dans cet état de flow permet de ressentir un profond sentiment de bien-être, de plénitude, d’enthousiasme, de motivation à apprendre.
La non-récompense favorise le développement d’une personnalité autotélique, c’est-à-dire indépendante, qui s’accomplit par elle-même, sans être motivée par autre chose que l’activité en elle-même.
Maria Montessori avait observé cet état dans lequel les enfants étaient plongés lorsqu’ils étaient concentrés sur une tâche, et l’état de bien-être qui suivait si on laissait l’enfant poursuivre son cheminement jusqu’au bout, sans intervenir s’il ne l’avait pas demandé. Elle avait constaté que l’enfant, à l’écoute des appels de ses périodes sensibles, expérimentait, jusqu’à effectuer la même tâche des dizaines et des dizaines de fois, dans le seul but d’élaborer ses propres fonctions. C’est pour cette raison que l’apport extérieur d’une quelconque récompense est inutile.
L’expérience optimale est synonyme d’ordre dans la conscience. Mihalyi Csikszentmihalyi explique que « lorsque l’information qui entre dans la conscience est congruente avec les buts, l’énergie psychique coule sans effort, les préoccupations à propos de soi sont absentes et le message est positif : « tout va bien ». »
Les périodes sensibles décrites par Montessori sont comparables aux « intentions » dont parle le psychologue, qui agissent en attirant l’attention d’un individu sur certaines choses plutôt que d’autres.
La discipline et la persévérance font aussi partie de ce processus. La discipline dont il est question ici est une auto-discipline, découlant d’un profond besoin, une intention ou « passion psychique », qui nécessite pour sa maîtrise un entraînement : apprendre à marcher, à maîtriser l’usage de ses mains, de son corps, du langage, un instrument de musique, un sport, la méditation, …
Montessori disait à propos du mouvement, de la maîtrise des gestes, du corps, que « l’impulsion de l’enfant est de perfectionner cet instrument ».
Le professeur Gerald Hüther, professeur de neurobiologie, explique dans ses conférences que nous sommes capables d’apprendre seulement lorsque les centres émotionnels de notre cerveau sont activés, et que l’état le plus agréable est celui appelé « enthousiasme », une sensation très profonde qui saisit le corps tout entier. Pour illustrer cette sensation, il décrit ce que peut ressentir un petit enfant qui parvient, après de nombreux essais, à se tenir debout pour la première fois.
Chaque petite tempête d’enthousiasme met en œuvre une sorte d’ « autodoping » cérébral. Ainsi sont produites les substances nécessaires à tous les processus de croissance et de réaménagement des réseaux neuronaux. C’est ce qui explique pourquoi nous progressons si rapidement dans ce que nous faisons avec enthousiasme. Car c’est aussi simple que cela : le cerveau se développe précisément là où il est utilisé avec enthousiasme.
Je terminerai cet article par une phrase de Mihalyi Csikszentmihalyi, ô combien parlante pour de nombreux parents et enseignants :
« On comprend, alors, la joie d’apprendre des enfants lorsqu’ils se concentrent sur une tâche qui leur permettra d’acquérir de nouvelles aptitudes. Malheureusement, lorsque l’ « apprentissage » devient imposé et réalisé en vue de récompenses extrinsèques, la joie d’apprendre disparaît ».
Les 8 caractéristiques de l’état de flow :
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- Tâche réalisable mais constituant un défi et demandant une aptitude particulière
- Concentration
- Cible visée claire
- Rétroaction immédiate (autocorrection de l’erreur)
- Engagement profond et absence de distraction
- Disparition de la préoccupation de soi
- Sensation de contrôle
- Altération de la perception de la durée
Marie Weirig – Mars 2018
1 L’enfant
2 Vivre, la psychologie du bonheur
3 Article de Jean Heutte, dans Le journal des psychologues n°345, Avril 2017
4 Disponibles gratuitement sur Youtube. Neurobiologiste allemand de premier plan, le Pr. Gerald Hüther dirige le département de recherche fondamentale de neurobiologie du Centre Hospitalier Universitaire psychiatrique de l’université de Göttingen et le centre de recherche préventive de neurobiologie de l’université de Göttingen et Mannheim/Heidelberg. Il est l’auteur de plusieurs livres sur le sujet.
5 Vivre
